Mode: Interview avec Claire Roussel, journaliste mode responsable et féministe engagée

Mode: Interview avec Claire Roussel, journaliste mode responsable et féministe engagée

1/ Présente-toi en quelques mots

Je suis une journaliste spécialisée dans la mode responsable et le féminisme, j’ai 23 ans et j’habite à Paris !

2/ D'où te vient la passion pour la mode, comment as-tu voulu devenir journaliste?

Je voulais travailler dans la mode dès mon adolescence, j’ai toujours adoré cet art. Au départ, je voulais être styliste photo car j’aimais beaucoup l’idée de collaborer avec d’autres professions créatives comme les photographes et créer des images. Puis, au fur et à mesure que mes convictions écologistes et féministes se renforçaient, j’ai réalisé que cette profession était difficilement engagée car on dépend beaucoup des annonceurs… J’ai décidé de travailler dans la mode éthique à 19 ans, et le chemin qui me semblait le plus rapide était de travailler pour une marque parisienne engagée (je suis diplômée de l’Ecole W, qui propose une formation en journalisme et en marketing, donc c’était tout à fait possible). 

Finalement, en septembre 2020, j’ai commencé un CDI en communication dans une maison et j’ai réalisé que je ne voulais absolument pas faire ça de ma vie ! J’ai osé m’admettre que je voulais être journaliste, et travailler pour des médias engagés qui parlent sans tabou de féminisme et savent porter un regard critique sur la mode. Depuis, je suis rédactrice freelance et pigiste et je tiens aussi un podcast depuis février 2022.


3/ Quelle est ta consommation mode en général, plutôt restreinte ou modérée? 

Je dirais modérée ! Et surtout éthique : je n’achète que de la seconde main ou des marques engagées dont les valeurs écologiques et sociales me parlent, je suis vraiment maniaque sur ça. J’achète tous les un ou deux mois je crois, et principalement de la seconde main car c’est beaucoup plus accessible financièrement. Avec Vestiaire Collective, tu peux trouver des marques qui font des très beaux vêtements de qualité, donc tu peux les garder des années (à une époque j’achetais du Zara de seconde main et la qualité ne fait qu’empirer donc ça ne sert plus à grand chose).

4/ Comment as-tu eu l'idée de créer ton podcast " Couture Apparente"? 

J’ai littéralement eu un déclic pendant une insomnie (pardon pour le cliché) où l’idée m’est venue d’un coup. Mais je pense que ça mijotait inconsciemment depuis quelques mois, j’écoute des podcasts depuis longtemps et je trouve ce format génial. Je crois qu’avec Couture Apparente, je voulais créer un espace de réflexion et de nuance, qui mélange l’expérience et l’expertise et qui essaye de couvrir plus d’idées possibles. Même si j’aime énormément écrire, on a moins le luxe de creuser dans un article que dans un épisode d’une heure !


5/ As-tu des conseils pour travailler dans le monde du journalisme, plus précisément dans la mode?

Je ne sais pas si j’ai des conseils spécifiques ! Je dirais de bien étudier un média avant de leur proposer un sujet, de ne pas se décourager aux premiers refus, de savoir être très à l’écoute des feedbacks pour ajuster son style aux publications… Et bien sûr de tout le temps consommer des contenus liés à nos spécialités. On ne s’en rend pas forcément compte sur le moment, mais ça finit par créer une culture et une vision qui sont essentielles pour développer des idées d’articles.

6/ Selon toi, quels sont les trois aspects que la mode devrait impérativement améliorer en premier? 

Alors en premier, absolument : la quantité de vêtements produits. Bien sûr qu’il faut des matières bio ou recyclées, des teintures naturelles etc pour réduire notre impact… Mais de fait, si tu diminues ta production de 70%, ton impact baisse de 70%. Evidemment, cette action est à mener pour les grandes entreprises et pas les small business. De toute façon, je pense que les énormes marques ne devraient pas exister. Mais ça, c’est une question de législation. D’ailleurs, si les gouvernements pouvaient mettre la pression à l’industrie pour drastiquement réduire les émissions carbone, ça serait sympa, parce qu’il nous reste 3 ans pour les plafonner si on veut garder un monde vivable d’après le GIEC.


En second, je dirais qu’il faut arrêter maintenant de produire et d’utiliser des matières synthétiques donc issues de la pétrochimie (comme le polyester, le nylon etc). Niveau urgence climatique, ça doit être une priorité absolue. Et vu qu’elle ne sont pas biodégradables, il faut mettre en place un réel système de recyclage et des réutilisation des textiles synthétiques déjà existants. Une mode circulaire est essentielle pour réduire l’impact de l’industrie, et permet d’ailleurs d’éviter le gâchis textile, l’exploitation des ressources, la surproduction.. Il faut aller dans cette direction au plus vite.


Enfin, l’urgence humaine prioritaire est d’arrêter l’exploitation des chaînes de production. Ça implique de déjà, imposer une transparence totale, et obliger chaque marque à connaitre exactement par qui, où et comment ses vêtements ont été produits. Ça parait évident dit comme ça, mais l’immense majorité des enseignes sont incapables de vous citer l’origine de leurs produits. Ensuite, il faut s’assurer que des salaires vitaux sont pratiqués dans toutes les usines de la chaîne de production, que les travailleurs et travailleuses ont droit à des congés, une assurance maladie, que les bâtiments sont aux normes de sécurité… Ça implique un effort entrepreneurial et gouvernemental international. C’est également une question féministe majeure : 80% des travailleuses du textile sont des femmes.



7/ Une mode responsable et durable est-elle possible avant 2030?

Techniquement ? Oui, sûrement. Si les entreprises et les gouvernements adoptaient de nouvelles normes et que les consommateur(ices) manifestaient intensément pour ce changement, il me semble que c’est faisable. Après, vu l’état actuel des choses, où des initiatives se mettent en place mais très lentement et parfois uniquement sur le papier, je pense qu’on n’arrivera pas à endiguer le dérèglement climatique. La majorité de l’industrie reste motivée par un profit immense et pas sur la planète ou l’humain, d’autant plus que notre système économique rend les choses très compliquées pour les entreprises qui s’y mettent seules. Donc je suis assez pessimiste. Après, il me semble que ça n’est pas une raison pour baisser les bras, il faut faire notre maximum de toute façon.


8/ Comment convaincre de consommer moins mais mieux selon ta vision?

Il me semble qu’il y a plusieurs cas de figure : déjà, il y a beaucoup de monde qui n’est pas au courant de l’impact écologique des ses vêtements, du rapport du GIEC, de l’exploitation quasiment automatique… De nombreuses personnes, une fois qu’on leur explique la situation, décident de réduire leur consommation, de passer à la mode éthique etc. Donc en premier, il faut informer sans culpabiliser les gens mais sans arrondir les angles : un vêtement Zara, ça participe probablement au génocide des Ouïghours par exemple, et il faut le dire.


Après, beaucoup de monde consomme de la fast fashion tout simplement par manque de moyens. On traverse une crise économique, et seule une minorité des français peut s’offrir un jean éthique à 150 euros ou un T-shirt en coton bio à 40 euros. Dans ce cas je trouve que la seconde main et le vintage sont vraiment une excellente option : ça peut être encore moins cher que la fast fashion, plus beau et plus résistant. Certes, Vinted ça n’est pas parfait non plus, mais aucune solution ne l’est ! L’idée est de faire comme on peut selon ses moyens financiers sans se juger. Je dirais juste qu’avant d’acheter un vêtement, qu’il soit éthique ou non, il faut vraiment se demander si on l’aimera plusieurs années, si il nous fait vraiment plaisir… Quelqu’un qui achète trois vêtements par an chez H&M et qui les conserve cinq ans, c’est déjà pas mal !


Il faut aussi prendre en compte que certaines personnes s’achètent une dizaine de fringues Zara ou Shein par mois. Ça je suis désolée, mais ça n’est pas histoire de moyens. Si tu as 100 ou 200 euros par mois à mettre dans la fast fashion, tu pourrais clairement consommer éthique en achetant moins mais mieux (parce que personne n’a besoin de dix nouveaux vêtements par mois pour s’habiller, donc là on parle de surconsommation inutile qui met en péril l’avenir de tout le monde), ou au moins te tourner vers de la seconde main.


Donc je pense qu’il faut trouver un équilibre entre informer, proposer des alternatives qui prennent en compte les différences de privilèges de chacun(e), et parfois secouer un peu aussi certaines personnes privilégiées qui ne font rien. Parce que malheureusement, pour le climat, le temps est compté.



Pour suivre Claire Roussel:

Journaliste mode engagée et féminisme

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